Table habituelle. Timing important. Trop tôt, trop de monde, trop tard, pas assez de choix. La "fille en salle", une quinqua dont l'élégance contraste étrangement avec le lieu, sourit interrogativement. "Comme d'habitude ?" semble dire ce léger hochement de tête dont la légèreté du côté affirmatif permettrait presque de répondre "Non, non pas comme d'habitude. Aujourd'hui, folie, j'ai envie de changement! Aujourd'hui ce sera...". Mais déjà, mon hochement de tête complice, totalement affirmatif, m'engage. "Comme d'habitude". Je me berce de l'illusion que cette attitude décisive, ce raccourci dans le choix me laissera du temps pour vagabonder en attendant ce sandwich à la banalité rassurante. Ironique, je songe aux implications de cette décision fulgurante. Aux quelques minutes séparant cette décision et sa consommation. L'anecdotique interroge l'existentiel. Logique. Pas de collègues, pas de téléphone, pas de lecture, aucune sollicitation autre qu'intérieure, dans ce snack aux conversations molletonnées. Une brèche s'ouvre. Un instant de flottement librement consenti, partagé entre plaisir de la liberté et conscience de l'urgence d'en profiter pour lui donner du sens. Le moindre tressaillement mental déclenche un ensemble organique de pensées inabouties, une forêt touffue, dense, variée, peuplée, bruyante. Un monde.
Mais déjà la quinqua, définitivement trop obséquieuse pour un snack, se penche vers moi, une assiette rectangulaire à la main.
"Comme d'habitude", balise des libertés.
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